lundi 16 juin 2014

A tes risques et périls

Il a posé beaucoup de questions durant le trajet.
Après tout, on ne se connaissait pas. Ni d'Eve ni d'Adam, on était juste ensemble des enfants.
A marcher lentement, on s'est verbalement échangé nos C.V. . Puis, sur le pas de la porte et toutes ces curiosités mutuelles que nous n'avions pas encore assouvies, j'ai pensé à mon bordel monstre jonchant le sol de mon appartement, à toutes ces honteuseries que j'avais dû laisser en chemin d'un départ pressé, pour ensuite inviter cet argentin à la maison, lui donnant la consigne de fermer les yeux jusqu'à ce qu'il pénètre la terrasse.

Il s'est exécuté.

Il s'est allongé sur le plancher, face aux étoiles. Nous nous sommes effeuillés nos mémoires respectives, à cœur ouvert. Je ne m'étais jamais allongée sur ma terrasse. Un angle de vue différent sur les choses, et observer ma première étoile filante de la saison traverser l'écran de la nuit. Je lui ai demandé de me chanter une chanson. Il en a choisi une en espagnol, qui parle de ces petits rien qui nous rendent heureux. De circonstance. A mon tour, j'ai voulu savoir ce qu'il souhaitait entendre de moi. "Une chanson sans parole, tu peux, ça?"

Oui, je peux.

Le jour s'est levé sur nos confidences, nous n'avions même pas commencé à avoir sommeil.

A un moment donné, il m'a regardée dans les yeux, avant de se lancer :
- Est-ce que je peux t'avouer un truc? Cela fait plus de trois heures que je meurs d'envie de le faire mais je n'ose pas te demander...
J'ai senti le traquenard arriver, alors je l'ai coupé dans son élan :
- Quoi, tu es en train d'essayer de me dire que tu veux enlever tes chaussures, c'est ça?
- Ouuuii! Mais je n'ose pas à cause de l'odeur! Dis, tu me laisserais les quitter sur ton paillasson et rapidement aller me laver les pieds?

Je l'ai taquiné, "tu complexes pas, quand même?" mais apparemment, ça le gênait immensément, alors j'ai renchéri sur sa pudeur :
- Quoi, faudrait que je colle mon nez sur tes pieds pour te décomplexer une bonne fois pour toutes?
- Roh non, ça va vraiment sentir mauvais...
- Les pieds ça pue, c'est bien connu, et franchement on s'en fout. Ce ne sont que des pieds. Allez, fais-moi sentir et on en parle plus.
- Non mais je te jure que...
- Allez, ton pied, donne-le moi! Et plus vite que ça!

Il a tendu sa jambe vers moi complètement hésitant, mais intrigué. J'ai reniflé sa plante, au creux de ma main. Ça sentait les pieds, soit. Pas de quoi en faire un plat. On en a rit. Puis il a dit : "je peux sentir aussi?". J'ai répondu oui. Nous avons échangé nos places. Mon talon s'est glissé entre ses doigts. "C'est une odeur presque agréable", qu'il a consenti. Je l'ai rassuré :
- Tu sais, quand j'étais jeune, je complexais sur celle de mes d'aisselles. Je me souviens j'avais parfois quelques remarques de copines du genre "Anne, t'exagères!"...jusqu'à ce que ça me fatigue de me préoccuper de mes dessous de bras et de comment les autres les percevaient. D'ailleurs, à partir du moment où ça n'a plus eu d'importance pour moi, plus personne ne m'a fait de remarques.
- Et je peux sentir sous tes bras?

-A tes risques et périls...

Il a passé son visage entier sous mes dessous, dans de longues inspirations. Méticuleusement, il a promené son nez sur mon épaule, mon triceps, pour se faire une idée d'une senteur globale, puis il a reposé son faciès à l'endroit initial, installé entre mon intimité et ma timidité, dans ce creux jusqu'alors peu exploité par ses prédécesseurs.
- Je pourrais y rester des heures.
Qu'il a ajouté.

Et pendant ce temps moi, je riais.
Je riais pour l'absurdité du geste.
Et pour retenir mes élans.
Mes frissons, mes soubresauts.
Mes actes inconsidérés.
Je riais pour ne pas avoir à l'engloutir, le dévorer de toutes ces choses qui s'animaient en moi à ce contact inadéquat.


[à suivre....]

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Du temps à tuer?